L’univers glaçant de Il était une fois en Anatolie

Par sa mise en scène il réussit à réaliser un style propre à lui pour évoquer cette vie profondément bouleversée par les personnages et par une ambiance glaciale liée aux conditions sociales de la société. À travers l’image, il promet un voyage esthétique simple, mais exigeant pour permettre au spectateur de se confronter aux enjeux du film.


     Au niveau du cadre, ce symbole permet à l’histoire de déterminer l’ambiance et les thématiques de l’histoire. Pour cela, le réalisateur dégage des plans larges de paysages, des plans d’illustrations et de contemplations en insistant sur la longueur des plans par exemple sur la pomme qui tombe dans un ruisseau pendant qu’ils parlent de l'union européenne. Ce type de plan va permettre une immersion totale dans le monde du film pour ainsi s’y aventurer et devenir un policier qui doit poursuivre l’enquête. Les personnages sont notamment centrés pas simplement pour se focaliser sur eux, mais aussi pour profiter du plan qui l’entoure et ainsi en dégager un certain naturalisme qui lie le personnage à la nature. Quelquefois, le plan est vide mais dans d’autres cas, il y a trop de monde et le plan est trop surchargé pour définir le caractère spécial qu’est cette mission. C’est pour cela que la caméra se charge d’agrandir le plan pour pouvoir mener son intervention avec le plus d’éléments possible. Ainsi, il favorise la longue profondeur de champ pour faire intervenir le naturel sur la situation.


    Pour poursuivre, le réalisateur doit prendre part pour définir l’intérêt de chacun de ses mouvements de caméra. Il tente donc de maintenir le spectateur en place avec un zoom progressif. Une méthode qui fonctionne et nous permet de vouloir en savoir davantage sur la situation mais aussi sur les personnages. Mais le zoom ne permet pas seulement de s’immiscer dans le quotidien des personnages. Ce dernier permet aussi, par exemple pour un plan en insert sur une lumière dans la nuit, de bénéficier d’un intérêt très franc et important quant à la situation actuelle de l’histoire qui se démêle à ce moment-là. Il utilise alors majoritairement des plans fixes pour noter la stabilité de la situation mais surtout le côté terre à terre avec
l’action principale.


    Ensuite, la lumière est un aspect esthétique important dans la mise en scène de Nuri Bilge Ceylan. Pour cela, on repère un contraste clair obscur durant la première partie du film. Il impose une lumière sombre comme s’il ne voulait pas faire la lumière sur cette enquête. La lumière vient s’éteindre sur leurs discours pendant qu'ils sont suffisamment éclairés pour faire la lumière sur leur conversation. Un rapport à la nature très intéressant mène à la lumière ce que la nuit laisse sombrer. Au matin, celle-ci va accentuer leurs traits de visage, ce qui permet pendant la seconde partie du film de définir chaque caractère et leurs traits froids, fatigué. Un aspect qui permet de s’accorder pour favoriser l’intervention plutôt que de garder une opinion trop générale sérieuse et autoritaire sur la police. Elle va terminer par servir de fausse liberté puisqu’elle va être dissimulée et devenir bien trop floue pour permettre au tueur de s’émanciper.


    La séquence n’est particulièrement pas colorée dans l’ensemble pour obtenir un certain réalisme donc garder les couleurs naturelles. Mais quelques fois, elle demeurera de couleur jaunâtre pour être assimilé à la trahison du tueur lorsqu’il cherche le corps et qu’il ne les mène pas au bon endroit. Plus tard, au matin, les couleurs froides blanches reprendront pour retranscrire avec le réel cette situation. Cette couleur blanchâtre va accentuer la froideur du traumatisme de la mort de l’homme par son tueur qui est à côté. Il y a néanmoins une séquence plutôt colorée, où le docteur se retrouve seul et pense. Il sort de sa zone professionnelle et se retrouve face à lui-même. Les couleurs permettent de l’accompagner à travers l’hôpital jusqu’au retour pour voir ses collègues où le bleu des murs va apporter du réconfort, de la famille, de la nostalgie. Cette séquence va être décisive car elle va apporter un réel point de vue quant à la vérité ou non sur le crime et la manière dont il a été réalisé. Cela rappelle en quelque sorte  Un héros  d’Ashgar Faradhi où le personnage principal cherche à prouver en quoi il n’est pas un profiteur mais par la suite va tout de même se retrouver dans la prison avec une colorimétrie et une lumière intense qui nous laisserons sur un mystère non résolu « officiellement ».


    Pour poursuivre le son a été travaillé de manière simple, mais à mon avis pas très cohérente avec leur aspect sur la réalité. Je m’explique sur sa réalisation du son sur son manque de réalisme puisqu’importe la distance la tonalité reste la même. Si cela pouvait servir pour fluidifier les raccords pourquoi mais ici, cela nous sert à nous empêcher de nous cacher des choses. Ce qui est dommage car c’est comme ça dès le début du film et que cela va rester ainsi tout au long. Ce qui reste intéressent et intelligent, c’est le silence qui n'existe pas et pourtant il y a de longs moments où personne ne parle. Mais cela est rythmé par l’ambiance sonore qui se transforme en personnage pour manifester sa présence imposante et pertinente
dans le film.


    La construction de l’histoire est bien cohérente scénaristiquement. On a l’impression de vivre en temps et en heure l’affaire ce qui paraît impossible mais intrigant pour donner suite à la longueur des plans ainsi que toutes les situations qui s’accumulent. Il y a un excellent travail sur les personnages, leurs psychologies puisque grâce les scènes longues apportent de l'intérêt en construisant la psychologie des policiers comme le réalisateur Ken Loach le fait dans I,Daniel Blake (2016). Il en fait donc de très bons portraits, presque comme un documentaire en visualisant l’orage, le vent, le paysage, le ciel. On en oublie le personnage du meurtrier en s’intéressant à leurs relations de famille, leurs sentiments quant à leur intérieur. Vers la fin, la censure dont décide de faire subir le réalisateur à l’égard de l’enfant permet de constater que les valeurs sur la mort déjà mis en cause pendant le code Hays peuvent être repris pour mettre en cause le rapport adulte enfant, quant à la censure de ce que l’on doit montrer au cinéma ou non pour les enfants pour ne pas choquer.


     Pour finir, en ce qui concerne le montage, il est très redondant, on garde une construction vraiment semblable et fréquemment durant un long moment (Plan large paysage, voix et dialogue qui lit à un plan proche dans la voiture, puis plan large puis voix qui les raccordent à un plan plus proche dans la voiture). Il ne prend pas de risque technique et je pense que c’est pour mettre en avant les performances des acteurs qui savent tout mettre en œuvre pour être entendu du spectateur. Mais, les plans d’illustrations en échelle de plan large en voiture sont pertinents entre les moments où ils cherchent le corps, puisqu’ils vont au niveau de la composition de l’image, du haut vers le bas de gauche à droite. Tandis qu’une fois qu’ils l’ont trouvé, ils vont de droite à gauche de bas en haut sur des routes différentes. Cette construction parallèle est très intelligente car elle permet au spectateur de savoir où il va donc de réaliser une certaine identification pour les accompagner.


    Pour conclure, le film est pertinent, travaillé et intelligent. La mise en scène est donc palpitante pour contenir le spectateur et le garder proche de l’histoire. L’aspect esthétique est maitrisé et il sait comment nous nourrir pour que le film ne nous laisse pas sur notre faim et nous captive grâce à son mystère.

 

Flavien Gourraud

© Nuri Bilge Ceylan (2011)

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