L’histoire prend place fin du XIXe siècle et nous présente un jeune matelot, Ephraïm Winslow, nouveau venu dans la profession étant chargé de relever son prédécesseur dans l’entretien du vieux phare d'une île perdue au milieu de l'océan.
Sur cette dernière, il y fait la rencontre d'un homme plus âgé, Thomas Wake, le gardien de l'îlot qui connaît déjà bien les rouages du métier. Or, si ce dernier s'occupe de veiller sur la lanterne du phare, c'est bien sur les tâches ingrates que le moussaillon sera relégué. Si de prime abord la nouvelle recrue ne semble pas bronché sur l'aspect langoureux du quotidien et que le passage de relais de la profession semble en bonne voie de continuation, Robert Eggers nous dévoile une véritable désillusion des aspirations maritimes de ce dernier. En effet, tout le caractère confinant de cette île perdue au large ponctué par les incessantes messes basses de son supérieur suggère qu'il n'y a dans cette cohabitation de la place pour personne d'autre que la primitivité de la nature elle-même. Si petit à petit, les eaux deviennent tumultueuses et de plus en plus dangereuses pour les deux marins, c'est bien a fortiori car l'esprit des personnages va, en l'écran, jouer des tours au point de substituer l'empreinte romantique du décor naturel à une forme plus symbolique, un voile occulte signant la jalousie de Thomas qui garde la mystérieuse salle de la lanterne du phare où de nombreux secrets qu’elle renferme n'échappent pas à Ephraïm.
À l'image des reflux de l'océan tambourinant sans cesse l'île, le lien rationnel qui unissait les deux compères ne devait que symptomatiquement se dissoudre pour ne devenir qu'une quête initiatique, une échappatoire vers le foyer radieux du phare. Contre vents et marées, les pluies diluviennes implosent en l’écran tout comme les derniers espoirs des marins prenant alors part à un délire mutualisé. Au travers d'une déconstruction de la réalité, le cinéaste nous livre sous l'épaisseur du noir et blanc charbonneux et du format réduit du cadre un horizon bouché. Enfermés sur eux-mêmes, les deux personnages incarnés par Robert Pattinson et Willem Dafoe nous dénotent dans une étonnante complémentarité synchronisée, une troublante performance qui, à l'instar de l'instabilité de leur relation, connote tout le caractère hallucinatoire de cette dérive humaine. Vigie mystique de la pénombre, le phare confère en sa présence une aura folklorique capable d'élever ses personnages au rang du mythe. Sous l'éclat strident de sa corne de brume, l'édifice-totem appelle à la clairvoyance et se fait à travers ce huit-clos, juge et bourreau des vices et péchés de l'humanité. Eggers, cinéaste théosophe nous propose ici d’explorer la repentance de marins perdus au large sous une forme fantomatique de la psyché d’âmes en perdition. Le salut onirique autour de la lumière salvatrice du phare, se formant alors comme le mythique flux de rédemption d’une vie de naufrage, de labeur et de désolation.
Thibault Deveyer

© Robert Eggers (2019)
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Commentaires
Très bonne critique, bon résumé 👍
Très bonne critique, qui donne envie de revoir ce film avec un nouveau regard.