Agatha All Along : La sorcellerie selon Marvel, ou l’art de jouer sur les attentes


Agatha All Along n’a peut-être pas révolutionné la télévision, mais elle marque une pause réfléchie et introspective dans l’univers cinématographique Marvel, un projet qui surprend par son ambition narrative et sa tonalité gothique. En s’éloignant des conventions de la saga super-héroïque, cette série capte l’attention d’un public en quête d’histoires plus intimistes et énigmatiques. Malgré ses limites, elle parvient à s’ancrer comme une œuvre mémorable, portée par ses personnages, son intrigue alambiquée et une bande originale qui tisse une toile sonore magistrale.

Une intrigue captivante mais pas exempte de défauts.

    La série s’ouvre sur une Agatha Harkness piégée à Westview, toujours sous l’envoûtement de Wanda Maximoff. Cette mise en contexte pose immédiatement un cadre oppressant, mais aussi captivant. L’histoire bascule lorsque Agatha parvient à se libérer grâce à un jeune sorcier, Billy, désormais réincarné après les événements de WandaVision. Ce tandem improbable lance une quête appelée la “Route des Sorcières”, une métaphore autant qu’un parcours initiatique.

    Les étapes de ce voyage, notamment les haltes dans des lieux empreints de magie ancienne (la forêt de Brocken en Allemagne ou les ruines de Salem), permettent de dévoiler progressivement les mystères de la sorcellerie dans l’univers Marvel. Un des moments marquants reste l’épisode où Agatha et Billy confrontent la sorcière verte, la mort, dans un duel mêlant manipulations psychologiques et effets magiques visuels spectaculaires. Cette scène, à la croisée du drame et du surnaturel, illustre parfaitement l’atmosphère à la fois tendue et gothique de la série.

    Cependant, l’intrigue peut paraître confuse. Par exemple, l’épisode perd une partie de son impact à cause de transitions maladroites entre des visions de son enfance et des flashbacks des événements de WandaVision. Ce brouillage volontaire est audacieux, mais parfois frustrant, surtout lorsque le spectateur est laissé avec plus de questions que de réponses.

Des personnages porteurs de l’histoire

    Le point fort indéniable de Agatha All Along réside dans son traitement des personnages, à commencer par celui d’Agatha. Kathryn Hahn démontre une fois encore sa capacité à naviguer entre sarcasme mordant et nuances émotionnelles. Dans l’épisode 4, par exemple, une scène poignante montre Agatha revenant dans les ruines de sa maison à Salem. Entre regrets et rage, elle se confie à Billy sur la douleur d’être ostracisée par son propre coven. Ce moment intime, où elle avoue son besoin d’être reconnue au-delà de ses “péchés magiques”, humanise un personnage qui aurait pu rester caricatural.

    Billy, quant à lui, est l’autre révélation. Bien que son rôle semble d’abord être celui d’un simple allié, sa quête d’identité prend une tournure complexe. Dans l’épisode 6, où il utilise ses pouvoirs pour se dévoiler et mettre son personnage en haut de l'affiche pour mettre en avant son rapport direct au personnage de Wanda. Cette découverte, qui le laisse partagé entre fierté et peur, apporte une profondeur psychologique rarement vue dans des productions Marvel.

   La dynamique entre ces deux personnages évoque des classiques comme la relation mentor-élève dans Charmed, mais avec une tension morale accrue. Agatha ne se présente pas comme une guide désintéressée ; son intérêt pour Billy est teinté d’un égoïsme qu’elle ne cache jamais. Ce réalisme dans les interactions crée des scènes captivantes, comme lors de leur confrontation finale, où Billy, trahissant sa mentor, utilise ses pouvoirs pour sceller son propre destin au lieu de poursuivre la quête d’Agatha.

Une mise en scène honnête mais limitée

  Visuellement, Agatha All Along adopte une approche efficace mais rarement audacieuse. Les décors, souvent plongés dans des tonalités sombres et brumeuses, capturent bien l’esthétique gothique, mais manquent parfois de variations. La forêt où la Route des Sorcières culmine est un exemple frappant : si l’ambiance est indéniablement oppressante, les plans serrés sur les arbres et les effets de fumée sont des choix trop conventionnels.

    Cependant, les scènes de confrontation magique brillent par leurs effets spéciaux. Les couleurs – des teintes violettes et rouges éclatantes – rappellent l’esthétique audacieuse de Doctor Strange, tout en restant plus intimistes. L’intégration des effets FX dans le maquillage des personnages est également remarquable, notamment dans l'évolution du personnage de la mort.

   Malgré ces réussites ponctuelles, la réalisation reste globalement trop prudente. On aurait souhaité un langage visuel plus inventif, à la hauteur des concepts abstraits abordés dans la série, comme le “tissage des souvenirs”. On pense à des séries comme The Haunting of Hill House, qui jouent avec les perspectives et les ellipses temporelles pour renforcer l’immersion.

Une bande sonore au service de l’intrigue

    L’élément qui élève véritablement Agatha All Along est sa bande sonore, et en particulier la chanson “La Route des Sorcières”. Introduite dès le premier épisode comme une simple mélodie chantonnée par Agatha, elle évolue au fil de la série, passant d’une berceuse inquiétante à une symphonie complexe jouée lors du climax. La version a cappella, entendue dans l’épisode 3 lorsque Agatha guide Billy dans une transe magique, est particulièrement marquante.

   Le traitement musical rappelle les choix de Stranger Things, où des morceaux comme “Running Up That Hill” deviennent des vecteurs émotionnels autant que narratifs. Ici, la chanson symbolise la progression d’Agatha et Billy dans leur quête, tout en étant un rappel constant de leurs limites et de leurs liens avec leur passé.

    En définitive, Agatha All Along est une série qui sait jouer de ses forces, notamment ses personnages et son intrigue originale, tout en se montrant perfectible dans sa mise en scène et son rythme. Comparée à des séries comme Euphoria ou même WandaVision, elle reste plus modeste dans ses ambitions, mais gagne en personnalité grâce à son esthétique gothique et sa profondeur émotionnelle.

  Pour les amateurs de récits fantastiques et psychologiques, elle s’impose comme une proposition intrigante, à défaut d’être révolutionnaire. Agatha All Along montre que Marvel peut encore surprendre, à condition de sortir des sentiers battus – ce qu’elle réussit ici, malgré quelques détours hésitants.

FLAVIEN GOURRAUD

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.