
Masterclass issues du festival Travelling 2024 - Taïwan et Taipei (35ème édition)
Singing Chen est une cinéaste taïwanaise contemporaine née en 1974 à Tapei. Elle ne vient pas du cinéma puisqu'elle va faire des études de communication et de publicité à l’université catholique Fu-Jen ou elle sera diplômée en 1997. Elle n'aime pas particulièrement les cours et préfère sécher. Elle va rencontrer Huang Mingchuan, un réalisateur indépendant et un faire un stage qui va progressivement l'amener au cinéma. Cependant elle rencontre des difficultés pour rentrer dans ce marché car c'est une femme. Durant cette période, le cinéma taïwanais est dans un très mauvais état selon car elle cite qu'il y a environ 5 films à l'année. Son premier film datant de 1999 est un documentaire car elle dit que c'est beaucoup plus facile de commencer par là pour débuter. Elle va continuer dans ce registre pendant une dizaine d'année avant de se lancer dans la fiction. Son cinéma portera en permanence une empreinte de documentaire parfois mélangé à la fiction, et inversement. Elle va chercher au travers de ces films à questionner le sens de la vie. Pratiquer le documentaire est un moyen selon elle qui permet d'y répondre.
Au niveau de ses influences, elle cite ses prédécesseurs de la Nouvelle Vague taïwanaise qu'elle considère comme des idoles comme par exemple Edward Yang. Elle dit aussi être inspirée par la littérature taïwanaise. C'est particulièrement la décennie 1990 qui selon elle a été une période propice pour le dynamisme cinématographique car c'est un moment ou l'on voit apparaitre un certain nombre d'avant-gardes dans le contexte d'un cinéma national où l'on importe énormément de films étrangers. Elle dit être en dialogue avec les réalisateurs de son époque tel que Midi Z car sa reconnaissance va de pair avec cet élan collectif.
Bundled, film de 2000 est son premier succès critique. Elle a eu besoin à travers ce film de faire un gros travail préparatoire car elle à penser ce projet à travers une étude à la fac. Le but était à la base de faire des enquêtes sur des populations marginales comme les SDF par exemple. Pour ce projet elle a dû accompagner les travailleurs sociaux mais elle avait eue le sentiment d'être complétement à côté de la plaque. La caméra permettait selon elle de s'approcher au plus près de de la communauté. Ainsi, elle va se rendre dans des temples car beaucoup d'événements caritatifs étaient organisés pour la charité. Elle découvre qu'ils survivent à partir du tri et de la récolte d'objets en tout genre. C'est ce qu'elle décrit comme une économie de la récupération. On y voit une métaphore du cinéma taïwanais doté d'une économie assez instable et où la question du public international joue un rôle important dans la reconnaissance de cette cinématographie.
L'un des motifs récurrents de son cinéma que l'on peut voir à travers ce film est celui du rêve. Elle dit qu'il est nécessaire au quotidien et que elle même rêve beaucoup, elle note ses rêves au réveil. Dans ce film, le rêve a quelque chose de tragique, c'est la seule issue possible fasse au monde. Il pourrait être vu comme une couche, une stratification d'interprétation de la vie. Elle aime particulièrement aborder ce thème au travers des cérémonies et du rituel, un moment de communion entre la magie et le réalisme. La place de la religion est en effet extrêmement importante dans son approche car elle a grandit elle même dans un vieux quartier de Taipei. Les rituels et les communions étaient réguliers et plus largement un mode de pensée, une pratique qui l'émeut. Elle voit plus particulièrement l'écriture comme un moyen de proposer ces différentes couches d'interprétations au travers de ses histoires.
En effet après Bundled elle avait un peu un syndrome de la page blanche. Son prochain succès et premier long métrage God Man Dog de 2007 représente bien cet éclatement de la pensée au niveau de l'écriture car le scénario est un rassemblement disparate de plusieurs personnages qu'elle avait écrit auparavant. Elle va cependant chercher à nuancer cela en créant un fond commun au scénario. C'est précisément sous la forme d'un tryptique qu'elle va voir trois façons de comprendre les valeurs humaines, trois démons et traumatismes qui forment un tout cohérent. Elle voit ce film comme une sorte d'errance humaine car si par exemple elle décrit des personnages bourgeois très matérialistes dans leurs rapports à l'argent. Au contraire, ses personnages d'une classe sociale moins aisée seront eux beaucoup plus spiritualistes et ancrés au divin comme source de mesure de la valeur des choses. Elle dit d'ailleurs que plus globalement ses personnages féminins tendent à être plus forts que ceux masculins.
Selon elle, c'est précisément le paysage qui joue un rôle d'intériorité dans son cinéma. Elle cite par exemple The Clock de 2011 qui traite de l'urbanisation de la société. Ici, le personnage principal est amnésique de son passé, mais pas du présent. Elle voit la ville comme un symptôme de l'oubli, d'un passé perdu à jamais, la transformation urbaine apparaissant comme une métaphore de la mémoire. Elle utilise d'ailleurs personnellement l'image d'archive.
Singing Chen nous décrit également une grande importance du rapport à l'art dans son cinéma. On y voit par exemple énormément de statuettes dans ses films car elle décrit que la statue est quelque chose de très important dans la religion et le spiritualisme à Taïwan. Il a une fonction de vénération. Certaines parties de la ville comportent même des décharges de statues car les gens jettent les effigies lorsqu'ils se sentent laissé pour compte. Elle explore aussi le rapport à l'art par exemple dans The Walkers en 2014, ou elle élabore une certaine forme de poésie en lien avec la représentation de la divinité par la danse. Elle s'inspirera pour ce dernier film de la chorégraphe Lin Lee-Chen.
Midi Z est quand à lui né en Birmanie en 1982. Si il fait des films de façon très libre, sans beaucoup de contraintes, il dit qu'il lui arrive de faire des films beaucoup plus cadrés comme dans des grosses productions. Il élabore au travers ses films une dialectique entre la liberté et la conformité de son cinéma et de la population. Il voit ses films comme une recherche formelle entre la bonheur et la souffrance car son cinéma est le fruit d'une expression personnelle. C'est un cinéaste très prolifique car il s'impose une cadence (il doit terminer son script avant fin février. Il dit que c'est quelqu'un qui s'ennui beaucoup et que c'est un moyen comme un autre de s'occuper. Pour lui, faire des films lui permet en quelque sorte d'apprendre. Il voit l'art comme un moyen d'expression, mais aussi comme un moyen de gagner de l'argent. En effet, il a du contracter des dettes assez importantes pour pouvoir se payer un passeport, ses jobs alimentaires ne suffisant plus. C'est surtout après ses 30 ans qu'il va réellement commencer le cinéma En effet si il a débuté en faisant des films de mariage, c'est parce qu'ils voyait le film surtout comme un moyen financier. C'est que progressivement qu'il va s'initier au cinéma par la pratique du court métrage (une trentaine) qu'ils vont l'emmener à participer à de nombreux concours.
C'est à l'âge de 16 ans qu'il va quitter la Birmanie pour étudier au lycée à Taipei. Lors de son premier long métrage, il n'avait vu que deux films au cinéma de sa vie. Il devait donc inventer ex nihilo un cinéma, le construire. C'est pourquoi il dit particulièrement qu'il a du redoubler d'efforts, se renseigner pour pouvoir être apte à rivaliser durant les concours. Sa pratique cinématographique va donc se forger en tant qu'autodidacte et c'est à partir du visionnage progressif des films qu'il va construire sa cinéphilie et sa démarche cinématographique. Il c'est même posé la question si il devait s'inventer une biographie fictive.
The Palace on the Sea en 2014, est un film réalisé comme il le dit "à la manière d'un étudiant". Il trouve cette approche très libre car il y a moins de contraintes. Pour débuter ce film, il a eu des financements de la municipalité qu'ils lui permettront d'avoir 10000e à la clef qui lui permettront d'être plus stable. Ce film a été selon lui déterminant dans le fait qu'il réfléchisse à son cinéma. Si il n'avait pas de connaissances esthétiques, la pratique lui permettra d'apprendre à créer. C'est un film sur des travailleurs d'Asie du sud est qui se donnaient des rendez-vous amoureux sur un bateau confiné à quai du port. Les habitants de la ville voyaient ce dernier presque comme un lieu hanté
Si c'est bien de la Birmanie qu'il puise la plupart de ses sources d'inspirations, il y reste 1/3 de l'année et il va voyager partout à travers le monde comme aux États-Unis ou en Chine Continentale pour se former. Il dit que sa reconnaissance artistique va de pair avec sa rencontre avec des cinéastes internationaux. Il dit que globalement il se sent plus à l'aise avec les personnages âgés car il a le sentiment d'être de la même génération que eux.
Concernant son rapport au cinéma, il dit explorer à la fois le documentaire et la fiction. Pour lui, il ne voit pas de réelle différence entre les deux tous deux relèvent d'une même démarche d'authenticité et de vérité. il set question de l'un comme dans l'autre une question de point de vue. Il cite par exemple qu'il y a de la fiction sans scénario et du documentaire fictionnalisé.
Poor Folk en 2012 est selon lui un film comparable à un cheval au galop: un film sauvage. Il a le sentiment d'avoir fait n'importe quoi sur ce film. Le tournage a été fait en 12 jours et seulement 4 personnes y ont participé. Il décrit sur ce projet une "méthode du frigo": faire ce qu'il peut avec ce qu'il a. Plus généralement, il appuie dans ses films une recherche sur l'urbanité, la survie, et la question des origines . Ses personnages se construisent dans l'illégalité car dans son enfance, son quartier était ancré dans le trafic de drogue.
> The Man From Hometown (2009)
> Return to Burma (2011)
Au niveau de la mise en scène, il décrit l'importance particulière qu'il accorde à l'acting. Il pense que c'est au spectateur d'analyser cette dimension. Il détermine dans le film ses personnages au travers de leurs existence au monde, dans le rapport naturel à l'être. Il collabore aussi bien avec des acteurs professionnels que non professionnels. Le montage est pour lui un moment particulier, il y participe et il décrit cette phase comme une seconde étape du scénario, il élabore autant de versions que nécéssaire, que ça soit logique ou non.
Nina Wu en 2019 est un film déterminant dans sa carrière puisqu'il s'agit selon les critiques d'un virage de son cinéma, ils le décrivent comme mauvais car ils rangent le cinéaste dans une case. Pour lui, c'est surtout un moyen d'expérimenter de nouvelles choses. L'idée originale vient de l'actrice. Ne sachant pas faire de comment écrire scénario, elle va écrire quelque chose de beaucoup plus grand que la moyenne. Le cinéaste va donc revoir avec elle son idée pour mieux l'adapter aux exigences de la production. L'actrice va s'inspirer de l'affaire Weinstein et on peux y voir aussi des références telles que Blackswan ou Mulholand Drive.
Son prochain film s'appellera The Unseen Sisters. Il s'agira d'une adaptation d'un roman, une première dans son cinéma. Il dit qu'il a toujours aimé lire (Cf. Annie Arnaud sur les questions d'origines) mais il ne c'était jamais prêté au jeu pour cet exercice. Il pense que les frontières de la littérature sont plus forte que celles du cinéma car elles sont invisibles.
Thibault Deveyer
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