Les femmes dans la Nouvelle Vague française

 

« La dimension critique des gender studies implique de rendre visibles à la fois les mécanismes de

domination qui organisent socialement la différence des sexes et les idées reçues sur la masculinité

et la féminité qui masquent cette domination ». 

Sellier, Geneviève (2009). Gender studies et études filmiques : avancées et résistances françaises. Diogène, N° 225.

 

 

A travers cette citation, nous essaierons de comprendre à partir de quoi la démarche pluridisciplinaire de l’étude des rapports sociaux à travers les genres, peut nous permettre de mieux cerner les fonctions de ces études, ceci appliqué à travers une dimension historique du cas spécifique du cinéma en France de fin 1950 à la fin des années 1960. Alors, nous tenterons d’analyser les rapports que peuvent entretenir les femmes au sein de cette société, notamment à travers ces diverses représentations dans le cadre du mouvement de la Nouvelle Vague. En effet, nous chercherons à nous demander plus particulièrement dans quelle mesure la Nouvelle Vague rend-elle compte de l’émergence de représentations genrées au sein des différentes étapes de la production cinématographique? Ainsi, notre analyse sera agencée de façon chrono thématique. Nous verrons ainsi dans un premier temps le contexte et la production de ces films, puis dans un second temps nous nous attacherons à leurs réalisations, et dans un dernier temps à leurs réception sur la base d’un corpus composé de quatre textes théoriques.

 

 

Un contexte d'émergence social féminin

Sellier, Geneviève (2005). Chapitre 1: une nouvelle génération marquée par l’émergence des femmes. Dans La Nouvelle Vague: un cinéma au masculin singulier. CNRS éditions.

 

Afin de mieux appréhender la place des femmes à travers le cinéma de la NV , nous chercherons tout d’abord à comprendre dans quel contexte elles émergent à travers la société du début des années 1950 . Geneviève Sellier nous fait ici part que cette génération est la première à être appréhendée comme un phénomène sociologique à part entière et de ce fait, à travers un certain nombre de données journalistiques, la femme semble se distinguer de l’homme de par son statut social. Cependant en terme idéologique, l’auteure fait le constat que malgré tout la femme se situe toujours par rapport à son statut matrimonial et de ce fait, elle est contrainte par rapport à ses propres aspirations personnelles qui en sont remises en cause de par sa condition féminine. De plus, l'autrice nous explique que cette disparité du genre féminin est renforcée de par le fait que la société patriarcale se veut ancrée dans un certain conservatrice idéologique. Ainsi une première forme d’émancipation féminine est certes visible sur le plan factuel à travers un réel désir de distinction vis à vis de la figure masculine, mais elle vient directement en confrontation avec le fait que la société machiste freine cette possibilité d’accéder vers une forme d’égalité des sexes.

 

C’est donc finalement alors une division sexuée de la société qui durant la génération de la NV, nécessitera de par son contexte sociétal à redéfinir les rapports entre les identités de genre. Il est ainsi important de restituer le fait que cette nouvelle génération est marquée par une forme de médiatisation exponentielle de la société notamment à travers la culture de masse émergente. De ce fait, les différentes formes de communication permettent à leur tour de diffuser l’importance d’une figure féminine grandissante, tout en étant cependant à nouveau en contradiction avec l’image que ces femmes renvoient. En effet de par l’effet de ces médias grandissants, la femme incarne une forme de revendication comme un emblème du scandale, puisqu’elle y est associée à l’image désuète de la morale bourgeoise qui imposait à ces femmes de rester dans les cadres de bonne figure morale.

 

Alors à travers une crise identitaire de la place du genre dans la société que se confirme la place de la femme qui sera ainsi en permanence mise en regard dans les médias de masse, avec un rapport de la société normé au masculin. De ce fait, le cinéma se porte comme le reflet d’une réaffirmation machiste à « contenir » les femmes dans leurs conditions de féminité, et de ce fait une certaine hostilité se dégagera vis à vis de leurs potentielles autonomies. Ainsi à travers les films, les thèmes de l’amour et de la haine seront toujours privilégiés car ils font écho à des emblèmes idéologiques que l’homme associe tel que « la femme comme symbole de désir » ou encore de « destruction » ainsi que « la femme comme mythe de fascination » (notamment liée à la culture américaine).

 

Il faut ainsi comprendre alors que c’est également de par la littérature que ce mythe de fatalité sera accentué et propagé dans la culture de masse, notamment à travers cette fois ci les héroïnes féminines qui contribueront à opérer à une certaine mise en regard de la société de consommation, envers ces images de femmes décrites comme vecteur d’aliénation. Ainsi au tournant des années 1960, c’est dans un cinéma quasiment exclusivement au masculin que la figure féminine va se matérialiser dans une double dualité: à la fois dans une prise en compte de l’émancipation des femmes et d’un autre côté dans un fantasme misogyne, toujours associé à cette image que la femme renvoie au sein de la société.

 

 

Une représentation genrée au masculin

Sellier, Geneviève (1999). Images de femmes dans le cinéma de la Nouvelle Vague. Clio. Histoire, femmes et sociétés, 10.

 

En effet, l’auteure développera cette image féminine dans son article ou elle partira d’un constat sociologique exploré à travers le rapport des réalisateurs masculins de la NV. Ainsi elle décrit ces réalisateurs qui vis à vis de leur liberté de création, arborent une certaine « méfiance sexuelle » qui peux s’opérer dans les films de par la place de ces femmes, dans une comparaison par rapport aux héros masculins. Elle désignera alors précisément la femme comme le point de concordance qui fait le rapport entre les identités de genre, et c’est ce qui ferait qu’elle soit renvoyée à cette dite image. Elle va donc ainsi décrire deux tendances de ces « images de femmes » au sein des films de la NV:

 

La première tendance consisterait à associer ces femmes au thème de la passion amoureuse à travers une forme fantasmée de l’homme qui de par sa masculinité, est jaloux d’une forme d’autonomie féminine. Cet homme, va donc métaphoriser la figure féminine en tant qu’objet de désir ou de danger. Le héros masculin est quand à lui alors placé dans une forme de solitude liée à son orgueil, et de part son comportement explicitement associé à cette méfiance sexuelle. Cela provoquerait donc précisément au spectateur une forme d’empathie qui serait liée à la vulnérabilité du héros souvent perçue dans une forme tragique à travers le thème commun qui regrouperait ces films des cinéastes masculin de la NV: l’amour menaçant. On peut ainsi notamment citer deux films faisant part de ce constat: « À Bout De Souffle » (Jean-Luc Godard - 1960) ainsi que « Les Bonnes Femmes » (Claude Chabrol - 1960).

 

Ainsi dans le film de Godard par exemple, cette sensibilité du héros masculin est démontrée vis à vis du regard porté au personnage féminin. C’est par conséquence le personnage de Patricia (Jean Serberg) qui de par sa nature va constituer cette vision mythique liée à l’origine américaine de l’actrice, par rapport au regard fantasmé de Michel (Jean-Paul Belmondo). Ceci n’est d’ailleurs pas anodin puisque par exemple la scène ou les deux personnages se rencontrent dans l’hôtel traduit de par l’esthétique du film, l’ambivalence des genres. En effet, Patricia apparait à la fois comme l’objet du désir à travers un certain nombre de gros plans de son corps, ce qui permet d’intérioriser le fétichisme de Michel. Cependant d’un autre côté, la mise en scène appose un point de vue distancié pour saisir la relation entre les personnages. C’est pourquoi ainsi la misogynie de Michel traduit sa méfiance et son orgueil vis à vis de Patricia. Ce sera finalement également de par la fin tragique de Michel que la femme sera décrite comme le symbole de destruction par excellence, et qui laissera donc à cette femme une possibilité d’autonomie non plus sous l’emprise du héros.

 

 

Agnès Varda: à contre courant

Bastide, Bernard (2009). Agnès Varda, une auteure au féminin singulier (1954-1962). Dans Agnès Varda : le cinéma et au-delà. PUR.

 

Pour ainsi décrire la deuxième tendance minoritaire que Geneviève Sellier va mettre en opposition par rapport au cas précédent, nous allons dorénavant nous concentrer plus particulièrement sur la réalisation filmique à travers le cas singulier d’Agnès Varda qui sera notamment décrite par Bernard Bastide . Elle nous permettra en effet de mettre en relation l’image d’une femme par rapport à un point de vue sensiblement autre des rapports qu’elle entretient avec les cinéastes de la NV. D’après Sellier , le thème commun de cette deuxième tendance opposée, serait le fait que le personnage féminin est la protagoniste principale. De plus, elle y serait sociologiquement décrite comme sujet à sa propre histoire. Alors, nous pouvons notamment citer deux films qui retranscrivent cette tendance et qui sont par ailleurs, tous deux écrits par des femmes ce qui n’est pas anodin. À savoir: « Hiroshima mon Amour » (Alain Resnais - 1959) et « Cléo de 5 à 7 » (Agnès Varda - 1962).

 

Alors, l’unicité de Varda selon Bastide proviendrait du fait qu’il s’agisse de la seule femme cinéaste associée au mouvement la NV. Ce sera un point essentiel car de par sa présence féminine, elle est seule au sein d’un mouvement encerclé par des hommes. Cette singularité de Varda, y est décrite par le fait que les femmes aient disparu des professions cinématographiques progressivement depuis les années 1930. De plus, elles y étaient associées dans des métiers qui étaient essentiellement manuel et de ce fait, les quelques femmes réalisatrices n’étaient plus en activité après la Libération.

 

Par conséquent pour se revendiquer avant tout comme une cinéaste à part entière, Agnès Varda aura alors un certain nombre de difficultés en comparaison aux cinéastes masculins. Ceci notamment parce qu’elle était contrainte à faire des projets « formatés ». Ce sera donc derrière la politique des auteurs que Varda militera pour l’aspiration d’un cinéma libre, afin de revendiquer pleinement sa légitimation d’appartenir à l’industrie cinématographique. Il est finalement donc important de comprendre ici l’unicité de Varda à travers les influences culturelles qui lui seront propres , et qui seront en complète opposition par rapport aux autres cinéastes.

 

En effet comme décrit précédemment, l’aspect social y jouera un rôle important puisque issue de la petite bourgeoisie, Varda plongera dans une enfance baignée par les arts et accompagnée par un grand goût pour les lettres, ce qui lui conférera un réceptacle novateur de culture artistique. A contrario, les cinéastes de la NV proviennent eux d’un milieu social plus populaire et de ce fait, ils auront été élevés à travers une enfance gorgée par la culture cinématographique. Ils fréquentaient de plus le même cercle social, et allaient aux mêmes endroits entre amis (à la cinémathèque par exemple). Ainsi, de par le fait que Agnès Varda n’ait pas côtoyée socialement les mêmes personnes et aussi de par le fait qu’elle ait occupée d’autres aires culturelles comme en étant notamment photographe pour le théâtre Jean-Vilar, marque un certain regard d’auteure, novateur de par son ambition artistique ce qui en fera une part d’exception dans le cadre des films de la NV.

 

Le cas de son premier long métrage « Cléo de 5 à 7 » permet notamment de mettre en relief ce que disait Sellier . En effet ce film permet de comprendre l’histoire d’une jeune chanteuse de variétés populaires nommée Cléo (Corinne Marchand) sur l’espace d’une temporalité en temps réel de deux heures. Celle-ci apprend qu’elle est atteinte d’une maladie, qu’elle pense incurable. À travers le rapport de cette femme vis à vis de sa place dans la société, Cléo se porte comme l’écho des femmes de sa génération: entre une quête d’émancipation mais toujours cernée par quelque chose qui l’en empêche. Ici c’est bien en effet de par sa maladie que Cléo s’ouvre au monde, mais est sans cesse ramenée à la réalité de par l’omniprésence de la mort. De plus, ce désir de liberté est notamment également audible dans le morceau « Sans toi » que Cléo chantera, car il fait écho au fait que la femme est sans lui, uniquement qu’une maison vide dénuée de sens. On peux ainsi mettre exactement cette chose en regard avec le contexte sociologique où nous disions que les femmes ne pouvaient s’émanciper car elles étaient en permanence ramenées à leur alter ego masculin.

 

 

La réception populaire: un reflet sociologique de revendications émancipatrices? 

Sellier, Geneviève (2013). La réception des films de la Nouvelle Vague dans le courrier des lecteurs de Cinémonde: Une trace de cinéphilie féminine dans la France de 1960. Communications, vol. 32/1.

 

Finalement nous allons donc dans une dernière mesure étudier le rapport de la réception de ces films à travers des archives du magazine hebdomadaire Cinémonde (1928-1966) . l'autrice à ici tout particulièrement décidée de se concentrer sur le point de vue des femmes qui à travers « le courrier des lecteurs » de 1959 à 1960, aura une importance toute particulière sur la réception des films de la NV. Cette rubrique dénommée « potinons » permettait ainsi dans un premier temps à un public anonyme ou non, de demander des renseignements sur l’acteur et dans un second temps de commenter les films qu’iels avaient vu, ceci étant directement animer par un chroniqueur qui faisait l’intermédiaire.

 

D’après le relevé des lettres, il est important de rappeler que la majorité des lectrices et commentatrices du magazine étaient des femmes appartenant à la classe moyenne, ce qui implique que la cible principalement touchée par les films de la NV était donc essentiellement la classe populaire. Certaines de ces femmes commenteront même qu’elles sont plus sensibles à un cinéma qui creuse l’écart entre le grand public et l’élite cultivée. De ce fait d’un point de vue socio-culturel, l’auteure indique également que le public étant majoritairement féminin favorisera dans leurs écrits et dans leurs lectures une préférence d’analyse filmique liée au goût, au plaisir, à l’originalité et à la cohérence de ce film. Ceci sera notamment décrit à travers les valeurs que le film porte, telles qu’elles sont exploitées à travers le jeu d’acteur, le travail de l’image ou encore du son contrairement au succès et à la réussite technique, ce qui concerne plus le lectorat masculin.

 

De plus il faut noter que le responsable de la chronique témoignera en particulier son attachement à indiquer le sexe de la personne, ce qui indique l’importance de la dimension genrée dans le débat cinématographique, et ce qui implique alors alors un changement de goût lié aux aspects culturels entre les goûts dit « féminins ou masculins ». L’auteure indique également que commenter la performance de l’acteur du point de vue féminin, permettrait ainsi d’expliciter ce regard féminin dans une vision autre que celle de la vision masculine. Finalement alors de par l’action même de commenter, ces femmes prennent conscience d’elles-même pour valoriser leurs opinions ce qui résonne avec les changements sociaux de l’époque.

 

Si nous revenons sur « Hiroshima mon Amour » qui justement est l’un des grands films plébiscités par le public féminin, « la potineuse » nommée Suzy Mortier décrit le visionnage du film comme quelque chose qui l’a bouleversé au point de ressentir une multitude d’émotions. Ce qui est intéressant ici est qu’elle cite le fait que le film est été écrit par une femme, et que Emmanuelle Riva est une actrice qui avait débutée avant tout au théâtre. Ainsi tout comme Varda, cela implique une vision singulière des aspects culturels féminins, en opposition à ceux des cinéastes masculins de la NV. Il est ainsi intéressant de remarquer que à travers ces différents commentaires de la performance de l’actrice, la lectrice opère sous un phénomène d’identification du personnage principal du film. L’auteure soulignera que c’est ainsi de par cette valorisation des lectrices que s’accompagnera une forme émergente d’un cinéma féministe, et les commentatrices de Cinémonde n’en seront que le reflet des changements à suivre.

 

 

Finalement on pourrait ainsi qualifier l’approche genrée dans la NV assez ambivalente car comme nous l’avons vu au niveau du contexte sociétal, la femme est encore enfermée dans un carcan et ne peut ainsi complètement s’affranchir d’une forme de masculinité. Cette forme d’omniprésence se verra dans la plupart des productions filmiques de la NV, et la femme y sera principalement vue dans une approche fataliste. C’est finalement lorsqu’elle prendra place sur le devant de la scène plus ou moins explicitement, qu’une certaine forme de libération se présentera dans les différentes réalisations filmiques de la NV. Par conséquent du côté de la réception, la présence majoritaire de lectrices indique tout également cette première forme féministe qui tend à s’émanciper des institutions afin de donner son opinion, et il est en effet comprenable que par le fait qu’elles s’identifient à leurs héroïnes présentes dans les films marque un changement de perception générationnel, ce qui démontre que c’est bien de par le fait que la jeunesse soit arrivée à travers le mouvement de la NV que c’est opérer un changement de mentalité du climat social de l’époque. On peut donc comprendre finalement que c’est le fait de légitimer un point de vue alternatif féminin, en transgressant les codes d’écritures dominants associés aux cinéastes masculins, qui va permettre à la femme de se libérer dans le récit cinématographique. C’est pourquoi dans une perspective à associer par rapport à la conception de la féminité, les traditions culturelles et artistiques d’élites des cinéastes masculins de la NV constituaient l’identité dominante en contribuant à des formes de stéréotypes de genre qui socialement étaient très conservateurs, notamment car ils étaient dans le rapport de la femme avec l’histoire.

 

Thibault Deveyer

© Agnès Varda (1962)

Cléo de 5 à 7

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