Le cinéma français d'avant-garde des années 1920

" En usant du terme cinéaste, nous avons désiré le réserver à ceux - animateurs, réalisateurs, artistes, industriels - qui ont fait quelque chose pour l’industrie artistique du cinéma. " 

Louis DELLUC, « Les cinéastes », Écrits cinématographiques 1, Paris, Cinémathèque française, 1985, p.123

 

A travers ce terme émergent dans les années 1920, nous tenterons de revenir sur ce mouvement en essayant de comprendre en quoi il a contribué, dans son contexte historique, à renouveler le cinéma par certaines propositions novatrices en cherchant notamment à réinventer ses fondements. Il est ainsi nécessaire de se rappeler que l'avant-guerre est une période dans laquelle le cinéma est considéré principalement comme une industrie du spectacle de masse et que la profusion de films issus des grandes sociétés de production comme Pathé et Gaumont, constituent la force vitale de cette même industrie qui n'est pas encore considérée comme de l'art. Or, le cinéma français a quant à lui perdu de sa grande stature internationale au début de la guerre 1914-1918 car le cinéma allemand domine à l'échelle européenne, et le cinéma américain à l'échelle mondiale. C'est finalement la fin des combats qui marque un grand désir de renouveau cinématographique: c'est une nouvelle classe sociale cultivée, élitiste et intellectuelle qui va accompagner cette nouvelle génération de réalisateurs et de penseurs qui se définiront, précisément, contre ce cinéma dit traditionnel, littéraire et fortement industriel (Cf. Raphaël BASSAN, « CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d’avant-garde »).

 

À travers le fondement historique de ce mouvement et l’avènement de la reconnaissance du cinéma en tant qu'art véritable, nous nous attacherons à comprendre dans quelle mesure les avant-gardes s’inscrivent-ils dans la volonté de renouveler l'art et la culture cinématographique. Nous verrons ainsi premièrement en quoi ce phénomène se comprend dans une cohérence à la fois sociologique et économique, et d’une autre part, nous chercherons à comprendre en quoi ces pionniers se sont attachés à énoncer de nouvelles formes esthétiques et théoriques du cinéma.

 

 

Le cercle de la production cinématographique dans les années 1920 est disparate. À côté des industriels, Pierre Braunberger, petit producteur indépendant, fondera sa société avec ses propres fonds et décidera comme d’autres producteurs-réalisateurs de faire appel à de l’aide extérieure pour contribuer au financement de ses films à cause de ses moyens insuffisants notamment suite à la fracture économique de la guerre. L’importance de ces producteurs occasionnels tels que Braunberger y est primordiale car la principale difficulté de ces sociétés réside dans le fait d'être assez indépendant vis à vis des autres producteurs pour créer un nouveau cinéma, moins standardisé au marché des exploitants et des grandes salles. De ce fait, la question économique est intimement impliquée dans la démarche dans le renouveau de la production cinématographique puisqu'elle sera le terrain d'entente pour faire émerger une école composée de nouvelles personnalités. Il faut cependant noter que c’est surtout Louis Félix Hyppolyte Aubert et Bernard Nathan, entrepreneurs qui chercheront dans les années 1920 à capitaliser sur la tête de l'industrie cinématographique en uniformisant les grandes sociétés dans une intégration verticale de la production à l'exploitation des films.

 

" Aubert et Natan réussissent donc là où Sapène à échoué : prendre la relève des deux géants d’avant-guerre et mettre sur pied des sociétés regroupant fabrication du matériel, production, tirage et développement, distribution et exploitation. "  p.117

Dimitri VEZYROGLOU, « Le cinéma en France à la veille du parlant », « Dynamisme et problèmes des petites et moyennes sociétés », Paris, CNRS Editions, 2011

 

Si la production est primordiale dans ce renouveau de la création cinématographique, il faut noter également que le contexte de l’exploitation et de la diffusion de ces films contribuera aussi à inscrire le cinéma dans une nouvelle dimension sociale moins populaire tel qu'elle l'était depuis 1895. En effet, c’est aussi pour un aspect économique que Jean Tedesco reprendra la direction du théâtre du Vieux Colombier en y instaurant une exploitation intégralement cinématographique. Nous comprenons donc qu'en profitant en autre du cadre déjà présent, Tedesco perpétuera une même série culturelle de spectacle propice à ramener du monde. Or, Tedesco affichera dans sa programmation de films une certaine exigence que l'on pourrait qualifier de qualitative puisque ce dernier montrera essentiellement des chefs d'œuvres, chose qui ne va pas de soi dans un spectacle qui était majoritairement forain et populaire.  A fortiori, ceci démontre qu'une attention intellectualiste anime le programmateur. Nous y voyons donc bel et bien le fait que Tedesco par le biais de son cinéma à contre-courant des normes de distribution de l'époque cherche à cibler un certain public armé pour réfléchir sur une forme qui peut être potentiellement un art. C'est pourquoi il proposera ainsi un répertoire noble et diversifié dans une démarche auctoriale. Il sera toujours ici question d’ouvrir le cinéma à un certain public cultivé et exigeant qui serait capable d'y adjoindre un discours potentiellement réflexif car il serait capable de se retrouver dans le film par effet de reconnaissance. C'est finalement aussi dans ce cadre novateur que sera mis en place pour les premières fois une tarification avantageuse avec un abonnement pour les jeunes ce qui démontre que si la programmation des séances devient spécialisée selon les goûts du public, c'est bien parce que la culture cinématographique autour des années 1920 devient cinéphilique en formant des pairs en réseau.

 

"Notre public, j’en suis sûr, vous restera fidèle. Votre idée de constituer un répertoire des plus beaux films, de dégager les nobles tentatives du cinéma du fatras d’absurdités qui l’étouffent, cette idée me paraît excellente et digne de réussir. " p.117

Christophe GAUTIER, « La passion du cinéma. Cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris 1920 à 1929 », « Le Vieux-Colombier en 1924 », École nationale des chartes, 1999

 

 

En plus de cette approche culturelle d'un répertoire "classique" lié au théâtre chez Tedesco, d'autres personnes seront amenées à définir de nouveaux codes théoriques car l'allongement des métrages possible depuis les avancées technologiques des années 1910 impose une complexification des récits filmiques.  À cette complexification narrative s'ajoute les recherches du cinéaste D.W Griffith qui, à l'autre bout du globe autour des années 1910, chamboulera drastiquement la façon dont un film peut être découpé et monté. C'est ce que le théoricien André Gaudreault appelle le passage du "cinéma attraction / monstration" (le cinéma des foires) à un "cinéma de la narration." Cette recherche formaliste d'un langage cinématographique s'accompagne de théories autour des années 1920 qui vont participer de la reconnaissance du cinéma en tant que 7e art comme le disait Canudo en 1922 dans son manifeste. Un des grands apports des avant-gardes français concernant cette reconnaissance provient de leurs réflexions esthétiques et théoriques sur plus particulièrement la dimension plastique des images. Ces recherches s'inscrivent elles-mêmes dans le contexte des arts du XIXe siècle. Par exemple, l’architecture sera appliquée et modelée dans le cas de la salle de cinéma pour accueillir le public «comme chez soi» . La peinture et la sculpture, serviront-elles de support sensible dans la picturalité du film. Finalement, c'est les arts visuels et plastiques qui joueront à leurs tours une part importante dans la médialité du cinéma et notamment du côté publicitaire, économique et marketing pour ramener ces gens dans les salles (intertextualité). C’est cependant les arts décoratifs avec les chefs-décorateurs et les costumiers qui développeront notamment la possibilité d'accorder au cinéma l’opportunité de faire écho aux arts par l'universalité de son langage. C'est notamment le cas de la figure du personnage de Charlot de Chaplin que sera réapproprié par la seconde avant-garde plastique afin de composer des dessins visuels en mouvement, c'est ce que Fernand Léger décrivait comme le "premier homme-image". Cette recherche de plasticité autour des années 1920 se comprend donc par le fait que le cinéma devient un médium à part entière. La plasticité se définit donc par matérialisme pour habiller l’écran et la salle d'une certaine forme de pureté photogénique capable d'élever chez le spectateur, le cinéma au rang d'art.

 

" On semble deviner enfin l’importance du rôle que peut jouer l’écran dans l’éducation de notre oeil. Pour faire comprendre à la foule l’effort de nos décorateurs, quelle exposition de meubles pourrait valoir la présentation vivante d’un intérieur adroitement composé et heureusement mis en valeur par une ambiance appropriée?. " p.1

Emmanuelle TOULET, « Le cinéma au rendez-vous des arts. France 1920-1930 », « Une plastique mouvante », Bibliothèque nationale de France, 1995

 

 

Finalement, cette notion de matérialité et de plasticité de l’image s’inscrit dans la même lignée que l’objet et le fragment. Cette dynamique du mouvement se matérialise en effet dans l’essence même du cinéma, qui anime la vie. En effet l’objet filmé devient une personnalité, un sujet actif à part entière qui au sein de l'image semble se doter d'une autonomie propre, c'est l'animisme. De par cette concordance étroite des arts et du cinéma, le fragment exploite idéalement cette portion de détails qu'Abel Gance expérimentera à travers le gros plan pour suggérer une nouvelle perception du film, capable de véhiculer de fortes sensations inhérentes aux images. Le cinéma devient un art à part entière à partir du moment où l'on comprend et formule le fait qu'il peut cristalliser et impliquer les émotions du spectateur dans les images en mouvement. On pourrait mettre cet apport théorique à la lumière du film La chute de la maison Usher de Jean Epstein (1928) qui traduit littéralement la puissance expressive du temps et du mouvement filmique sur la diégèse et sur l'art puisque le film met en scène la femme d'un artiste qui se meurt au fur et à mesure que son mari la peint sur une toile. Par effet de transposition d'un corps vivant à une matière vide, le geste créateur de l'artiste se voit doter d'un pouvoir démiurgique capable de révéler l'essence primordiale et profonde de la nature et de l'être. 

 

" De même à l’écran se transforment au point d’endosser de menaçantes ou énigmatiques significations ces objets qui, tout à l’heure, étaient des meubles ou des carnets à souches. Le théâtre est impuissant à pareille concentration émotive. " p.237

Noureddine GHALI, « L’avant garde cinématographique en France dans les années vingt. Idées, conceptions, théories », « L’objet et le fragment », Paris Expérimental, 1995

 

En somme, cette dynamique filmique nous laisse réfléchir sur la nature même de la perception du mouvement induite dans l’objet. Le montage cinématographique sera, en effet, considéré et théorisé comme un catalyseur particulièrement puissant des émotions des spectateurs par les différentes avant-gardes. Ceux s'y chercheront particulièrement à développer d’autres formes comme par exemple le "montage court" que l’on retrouvera chez Abel Gance ou Jean Epstein. Le dynamisme sera formé ici par un enchaînement de plans, à un intervalle très court qui peut rendre compte d'une certaine forme de rythmicité, de musicalité dans ce lien étroit avec l’art car il est ici question d'une dynamique de virtuosité. C'est ce que met notamment en avant le musicien et critique Émile Vuillermoz dans sa théorie musicaliste lorsqu'il dit que "La composition cinématographique […] obéit sans doute aux lois secrètes de la composition musicale. Un film s’écrit et s’orchestre comme une symphonie. Les phrases lumineuses ont leurs rythmes." (cité par Laurent Guido dans « Le Dr Ramain, théoricien du "musicalisme" », 1895, n°38, 2002.) C'est ainsi l'idée d’assembler des « éléments plastiques vivants » pour jouer de la matérialité de l'image comme un vecteur de sensoralité, ce qui nous démontre bien le mouvement est un vecteur très important dans la psychologie du spectateur. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant si certains psychiatres comme Paul Ramain voit dans le cinéma la possibilité de créer une "symphonie onirique visuelle" (Cf. « Le Cinéma, art du Rêve, doit être Psychanalytique. Le Film, pour être cet art, doit se rapprocher de la musique » (1926) et « Le Film peut traduire et créer le Rêve » (1926)).

 

" Il y a des rapports fondamentaux exceptionnellement étroits entre l’art d’assembler des sons et celui d’assembler des notations lumineuses. Les deux techniques sont rigoureusement semblables. " p.185

Noureddine GHALI, « L’avant garde cinématographique en France dans les années vingt. Idées, conceptions, théories », « théorie du montage en France», Paris Expérimental, 1995

 

 

Quelques cinéastes de la première avant-garde

Henri Fescourt; Raymond Bernard; Jacques de Baroncelli; Léon Poirier; Abel Gance; Marcel L'Herbier; Jean Epstein; Germaine Dulac; etc.

 

Quelques cinéastes de la seconde avant-garde

Fernand Léger; Marcel Duchamp; Man Ray; etc.

 

Cinéma et surréalisme

La Coquille et le Clergyman - Germaine Dulac (1928)

Un chien andalou - Luis Buñuel (1929)

L'âge d'or  - Luis Buñuel (1931)

 

Thibault Deveyer

© Jean Epstein (1928)

La chute de la maison Usher

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