Mascarade : critique d’un éclat désillusionnée



Le film de Nicolas Bedos, Mascarade, présenté en avant-première au Festival de Cannes 2022, n’a pas manqué de diviser critiques et spectateurs. Derrière un scénario audacieux et une distribution prestigieuse, le film semble vaciller entre ambition narrative et écueils esthétiques. Tentons ici d’en décortiquer les contradictions.

 

    Dès les premières scènes, le spectateur est happé par un récit habilement construit, où chaque retournement de situation pousse à une remise en question constante. C'est là l'une des forces du film : ce scénario sinueux qui, à la manière d’un puzzle, ne se dévoile totalement qu’au fur et à mesure, obligeant l’audience à naviguer entre fausses pistes et vérités éclatantes. Si la maîtrise du récit est indéniable, elle semble presque trop dépendante de ce jeu de dupes, risquant parfois de réduire les personnages à de simples pions narratifs, au détriment d'une véritable exploration psychologique.

 

    Là où Mascarade pêche cependant, c’est du côté de sa réalisation. Bedos, passionné de l’image et des compositions en profondeur, semble ici pris au piège de ses propres aspirations visuelles. Le cadre, certes baigné dans les lumières solaires de la Côte d'Azur, manque de variation et de relief. Nice, avec ses décors idylliques, sert de toile de fond à des scènes certes esthétiquement plaisantes, mais l'obsession du cinéaste pour les plans anamorphiques et les mouvements de caméra incessants finit par lasser. La profondeur de champ, pourtant censée renforcer la densité visuelle, se transforme en un dispositif formel étouffant, qui handicape la fluidité du récit. Le regard du spectateur, saturé de ces compositions rigides, peine à suivre l’action.

 

    Si la réalisation laisse à désirer, il est impossible de passer sous silence la qualité du casting, qui constitue le véritable socle du film. Porté par quatre mastodontes du cinéma français, le film brille par la justesse de ses interprètes. Pierre Niney, captivant, parvient à rendre son personnage fascinant par son regard seul, enveloppant l’actrice principale d’une aura troublante. Quant à François Cluzet, il surprend en incarnant un homme marqué par une profonde mélancolie, donnant à son rôle une teinte tragique qui résonne longtemps après la projection. La prestation d’Isabelle Adjani est également à saluer. Toujours aussi magnétique, l’actrice réussit à insuffler à son personnage une complexité rare, jouant subtilement entre la fragilité et la force, le désespoir et la détermination. Sa polyvalence illumine le film et donne aux scènes où elle apparaît une tension palpable. Bedos semble d’ailleurs avoir su capter cette qualité quasi surnaturelle d’Adjani, tout en la laissant évoluer librement à l’écran. La scène de danse de Pierre Niney, quant à elle, reste un moment fort, véritable souffle de créativité dans une réalisation par ailleurs trop sage. Elle nous rappelle que Bedos, quand il s’éloigne des conventions, peut surprendre et toucher.

 

    Cependant, la lourdeur du cadre et l’uniformité des plans empêchent le film de prendre son envol. Les couleurs, pourtant éclatantes sous le soleil du Sud, ne servent finalement qu’à souligner cette superficialité ambiante, sans parvenir à proposer une charte visuelle digne de ce nom. Si Mascarade bénéficie d’un scénario bien ficelé et de performances d’acteurs magistrales, il souffre d’une réalisation trop figée, trop contrainte par une recherche esthétique qui, paradoxalement, bride son potentiel.

 

    Alors, pour conclure, Mascarade est un film à deux visages, à l’image de ses personnages : s’il séduit par la fluidité de son scénario, qui entraîne le spectateur dans une intrigue captivante et pleine de surprises, il est malheureusement freiné par une mise en scène qui manque de souffle et d’audace. Cependant, la beauté des acteurs rayonne à chaque scène, et leurs performances magistrales insufflent au film une intensité indéniable. Nicolas Bedos livre ainsi une œuvre hybride, où la virtuosité narrative et le talent des comédiens éclipsent partiellement les faiblesses d’une réalisation esthétiquement figée.

 

Flavien Gourraud

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