La Tentation du Dr.Antonio de Federico Fellini et le mythe de Pygmalion

À l'aune de la légende de Pygmalion et Galatée (D’après les récits antiques: OVIDE. Les métamorphoses. Pygmalion. Livre X. Ier siècle.), dans quelle mesure Federico Fellini au travers de La tentation du Dr.Antonio parvient-il à réactualiser le mythe antique sous la perspective des problématiques du monde contemporain par le prisme du cinéma ? ( Cf. Sur les possibilités formelles du cinéma de mettre en scène le mythe: FREEBURG, Victor Oscar. The Art of Photoplay Making. 1918.)

 

 

Une mise en sourdine - Antonio, un prêcheur de bonne parole face à une modernité discordante

Antonio, habitant de l’immeuble avoisinant un chantier de construction d’un panneau publicitaire géant est un rude défenseur de la morale chrétienne. En effet, ce dernier fustige l’image de la femme se mettant en scène dans une position lascive pour un produit de consommation. En tant que bon docteur de ses « patients » en totale euphorie face à cette mise en place de l'artifice, Antonio tente coûte que coûte de ramener tout le monde sur le droit chemin. Or, la grandeur de la mise en scène laisse penser que le personnage est incompris de la société dans laquelle il s’inscrit car il n’a pas sa place notamment de par la construction de l’espace et des décors qui connotent une forme d’oppression de par le rapport à la foule comme signe d’écrasement. Dans la cacophonie générale de l’arrivée d’une troupe de musique et de personnes extérieures au chantier, ce dernier n’est pas entendu: ouvriers, bâtisseurs des piliers de la société contemporaine (et donc gardien d’une forme de stabilité) comme les scouts, symbole de solidarité, le mettent progressivement sous silence et le laissent ainsi en proie aux vices d’une société moderne débauchée. Inéluctablement, Antonio désempare et ne peut qu’assister au modelage, bloc par bloc de l’objet de son martyr érigé dans le ciel: la charnalité d’un corps. Alors à l'instar des Propétides du mythe avec l'idolâtrie du simulacre et le rapport narcissique du personnage avec son idéologie, l’image devient une sorte de punition divine qui, contrairement à cette version, ne va pas se former par rigidification du corps mais plutôt une par une dé-statufication, une animation destinée particulièrement à tester Antonio.

 

Une création en image - une transformation de la femme au regard d’une tentation érotique

C’est de par un effet de morcellement des plans de par la mise en image du corps de sa création que notre personnage va donner vie à sa statue en deux dimensions. En effet, sous la théorie du Male Gaze de la représentation féminine comme un processus du regard masculin associé à la femme icône, Antonio va par l'acte du regard assembler les différentes parties du corps et former par effet de fractionnement une femme idéale. Cet acte de transformation correspondrait alors à une idée de fantasme mise en réalité. C’est en ce sens que l’on pourrait considérer Antonio comme un Pygmalion moderne dans la mesure où la projection d’une image érotisée et fétichisée va permettre la mise en vie de son objet, d’un désir qu’il réfute complètement et qu’il lui est étranger. Ainsi, c’est précisément lorsque le docteur se retrouve seul en plein milieu de la nuit que s’opère une passage d’ordre symbolique dans l’imaginaire et la conscience du personnage: l’animation de cette femme à l’image de Eve et le fruit à croquer, est une punition divine destinée à leur faire succomber. Nous comprenons donc que cette naissance non consentie pourrait décrire notre personnage comme précisément un anti Pygmalion car sa propre création se retourne contre lui et n’est qu’un simulacre, un faux corps, une copie des vices du vivant. Antonio, être démiurge hors de sa volonté n’a donc aucun moyen de revenir en arrière et en devient alors un martyr de la tentation de cette femme fatale qui n’est d’autre qu’une manifestation émancipée de son inconscient.

 

Un péché envieux - Anita, vamp et égérie d’une société de consommation

Anita, créature chimérique issue d’une mise en idée d’un fantasme apparait ainsi à la lumière de sa transformation dans le mythe originel comme un être propice à la malléabilité. Notons en ce sens que l'association du personnage au lait n'est pas anodine puisqu'elle est non sans rappelle à Galatée qui passe d'une matière blanche et solide (marbre) à une matière vivante et molle (la peau) et confirme donc que la transformation c'est bien opérée. C’est de surcroît en ce sens que Fellini va dévoiler par une transformation excessive de sa taille dans l’espace, une forme de diabolisation de la femme qui en devient vicieuse. Le cinéma se porte ainsi lui-même Pygmalion et met en scène un corps sculptée à l’image d’une vamp en lui dotant un pouvoir maléfique d’aguicheuse par un fort sex-appeal et une voix ensorcelante (succube). En effet, c’est précisément de par sa forte insistante, son jeu outrancier et volontairement signifiant d’une forme de prostitution que la tentation de l’homme se formule en face d’une femme-objet, de plaisir et de désir personnel. En ce sens, c’est de par la mise en scène qui en appuyant sur une dialectique d’érotisme et de fétichisation avec des jeux de regards refoulés en champ-contrechamp, ainsi que des inserts subjectivés du regard masculin en plongée-contreplongée sur des parties du corps, va procéder à une sorte de dérive du personnage qui en s’enfuyant vers une ville déserte et labyrinthique va se faire coincer comme une proie dans une toile. A fortiori, cette forme de domination de Anita pourrait également être mise ici en regard d’une forme de déferlante de la société de consommation. En effet, Anita Ekberg incarnant par excellence un stéréotype de l’image de la femme dans le cinéma moderne, elle en devient elle-même une femme-produit, une image de marque au sein d’une industrie du star-system. On pourrait alors de surcroît dans une certaine mesure qualifier ce régime de représentation comme un acte lui même pygmalionnesque car il module l’image des femmes selon un idéal proprement masculiniste.

 

 

Finalement comme nous l’avons donc compris, cette mise en scène signée par Federico Fellini rentre donc complètement dans le rapport du mythe de Pygmalion car de par l’apparition fantastique de cette femme, le corps devient un simulacre et un objet de consommation: un modelage d’un corps d’un homme sur une femme.

 

Thibault Deveyer

© Federico Fellini (1962)


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