Cinéma et militantisme féministe au travers de Maso et Miso vont en bateau

L’histoire des mouvements féministes retient régulièrement les années 1960-1970 comme une période majeure des luttes des femmes contre le patriarcat. À l’aune de ces revendications, 1975 est plus particulièrement une année historiquement sensible d’une conscientisation des problèmes de discrimination de genre au sein de la société moderne puisqu’il s’agit de la première fois que L’ONU, lors d’une conférence mondiale, va déclarer une année internationale de la femme . À la fin de l’année, la chaine de télévision française Antenne 2 décide de programmer une émission spéciale de 1H30 intitulée « Encore 1 Jour et L’année de la Femme, Ouf! C’est Fini! ». Présentée par Bernard Pivot en compagnie de Françoise Giroud alors Secrétaire d'Etat à la Condition Féminine (1974-1976), ils vont ensemble animer un débat autour de personnalités publiques revendiquant être misogyne. L’année suivante le collectif de cinéastes « Les Insoumuses » composée de Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig, Ioana Wieder ainsi que Nadja Ringart vont réaliser un documentaire vidéo à partir des extraits enregistrés de cette même émission. Intitulée « Maso et Miso vont en bateau », nous chercherons à comprendre ici dans quelle mesure de par sa démarche politique ce film relève d’une forme d’engagement militant féministe. Pour répondre à cette problématique, nous tenterons dans un premier temps d’explorer en quoi les cinéastes décrient sous un prisme satirique les différents discours des intervenants au sein d’un système de représentation patriarcal. Dans un second temps, nous tacherons d’examiner en quoi la prise de parole de ces femmes cinéastes par le biais de la vidéo relève d’une forme d’interventionnisme qui pourrait être qualifié d’acte militantiste.

 

 

Une déconstruction du patriarcat - un humour caustique comme arme de lutte féministe

 

« Nous avons toujours pensé que le Secrétariat à la Condition Féminine et l’Année de la Femme étaient une MYSTIFICATION. En voici une PREUVE OFFICIELLE: ». Ces mots tirés d’un carton inséré par les cinéastes à l’ouverture du film place d’emblée l’émission télévisée en porte-à-faux pour parler d’un sujet qui se voudrait progressiste. Nous comprenons alors ici que c’est particulièrement la figure de Françoise Giroud qui en tant que représentante du droit des femmes par son statut de ministre, apparait comme la cible privilégiée du collectif pour s’esclaffer de ce qui pourrait être une forme de sexisme institutionnalisé. On pourrait par exemple illustrer cela directement avec le chapitrage du film qui fustige l’absurdité des propos de la ministre au fil de l’émission comme le démontre le Xème chapitre: « Où Maso apprend à naviguer ou encore la galère ». Giroud, à l’instar du titre du film, apparait précisément [maso]chiste car elle oublierait presque naïvement qu’elle est une femme et qu’elle a elle même rencontré des discriminations [miso]gynes au sein de son parcours professionnel et de sa carrière politique.

 

Le collectif des Insoumuses souligne également volontairement sous la forme d’un dialectisme critique la « pédagogie politique » que Giroud mène presque avec niaiserie lorsque qu’elle déclare sur les écrivaines « [qu’] il y a très très très longtemps que les femmes ont fait leurs preuves qu'elles peuvent s'illustrer dans la littérature ». Ce qui semble donc être une « attaque » pour les Insoumuses va être, via les possibilités de la vidéo, une réponse propice pour retourner le propos de la ministre contre elle même et ainsi sensibiliser le spectateur à la réalité des faits. Notons alors dans cet exemple que les cinéastes vont jouer d’une forme de contrepoint satirique par l’usage du montage discursif d’images d’archives en mettant notamment en exergue les récents commentaires de Simone de Beauvoir, ayant reçue des critiques négatives à propos de la sortie de son ouvrage « Le deuxièmes Sexe ». De surcroit, nous comprenons ainsi ici que en cherchant ironiquement à faire heurter Giroud à son propre discours contradictoire de par la comparaison à cette femme qui représente, à de nombreux égards, une personnalité forte pour la libération des femmes dans la société moderne, le collectif des Insoumuses luttent avec ardeur pour dénoncer la mise sous silence genrée qu’opère l’ordre patriarcal établi comme tel et non remis en question.

 

Une prise de contrôle militantiste - un détournement de l’image comme enjeu de reconfiguration politique

 

Face à cette émission pleine de fausseté, les cinéastes décident donc de porter une voix subversive en intervenant dans une démarche qui se voudrait précisément être révélatrice pour le spectateur d’une problématique sociétale. C’est pourquoi elles vont s’emparer des différentes séquences de l’émission pour démontrer en quoi il est important de ne pas banaliser un système de représentation médiatique phallocratique. C’est ce qui pourrait se formuler à l’écran selon l’idée d’un piratage filmique presque « méta-parasitaire » du tournage qui va permettre, précisément, une remise en question de ce régime d’image. Une séquence illustre bien à cet effet les possibilités expressives du remontage de l’émission: il s’agit de celle avec un navigateur de la marine à voile , Marc Linski. En effet, ce dernier évoque que les hommes en mer ont envie de monter à bord pour être portés par le souffle de l’aventure afin d’échapper à leurs femmes qui les couvrant, seraient sources de problème. Giroud répondant ensuite « Ah celui-là c’est un pur, il est merveilleux » va être pour les Insoumuses une réponse ridiculement machiste pour faire dérailler l’émission et s’insurger à partir de réponses percutantes afin de décrédibiliser son propos. On peut citer par exemple l’usage d’un carton sous la forme d’un « questionnaire sociologique » qui laisse le choix au spectateur de trouver ça « drôle », ou (précisément) non. On met également en avant le caractère malhonnête du discours par l’hésitation des propos lorsque Giroud répond « je ne sais pas c’est une autre histoire » en créant de par un montage presque expérimental un bug avec des répétitions des dialogues via les arrêts sur images et les retours en avant/arrière. De plus la matrice sonore étant aussi porteuse d’idéologie, elle va être réapropriée lorsque les présentateurs évoquent le sujet des enfants du point de vue masculin. En effet ici, les Insoumuses bruitent par dessus le plateau en écho aux discours le son « maman » pour infantiliser le présentateur jusqu’à ce que le doublage masque complètement le son du plateau, et le mette ainsi sous silence pour ne plus lui laisser la parole.

 

Nous comprenons donc que les cinéastes cherchent à contrôler cette image télévisée sous la forme d’une parole libérée de toutes entraves. Il va donc y avoir ainsi une sorte de déplacement de la représentation télévisuelle à ce qui relèverait véritablement d’un engagement cinématographique en lien avec le rapport artisanal et amateuriste de la vidéo légère, qui, par le biais de la sororité de la création collective, permet une plus grande force de revendication. En effet la fin de show pourrait dans une certaine mesure explicité cette forme « reconfiguration féministe » car le rythme devenant radicalement plus rapide et les interventions des Insoumuses de plus en plus présente, vise à proposer un autre mode de représentation qui se voudrait intraséquement plus juste et inclusif. C’est ce que l’on comprend en effet lorsque que le dernier mot de l'émission n’est pas donné à Françoise Giroud, mais est littéralement pris sous contrôle et détourné par le collectif en signe de protestation de ce qu’elles citent être « un combat continu ». Elles appellent donc à une autre façon d’agir et d’une certaine mesure à être à sa manière militant en étant conscient de la discrimination de genre. Au bout du compte, elles bouleverseraient cette représentation sexiste sous une démarche militantiste par l’élaboration d’une dramaturgie critique en reprenant et en doublant la chanson de Jean Ferrat dans son extrême opposé: « la femme est l’avenir de l’homme » comme un signe de lutte réflexif à la fois dénonciateur et émancipateur à l’encontre de toutes formes de misogynie

 

 

En somme comme nous rappellent les cinéastes en fin d’émission: « aucune image de la télévision ne veut ni ne peut nous refléter. C’est avec la vidéo que nous raconterons ». Nous comprenons donc que la démarche militante du collectif se comprend selon l’idée d’un interventionnisme de l’image qui se voudrait comme contre information (Deleuze) d’un discours politique phallocentrique, pour ainsi déboucher sur une réfléxion plus grande de la représentation médiatique de la femme au sein d’un système patriarcal.

 

Thibault Deveyer

© Les Insoumuses (1975)

Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir


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